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Histoire et architecture
De la basilique des Saints-Apôtres à la bibliothèque universitaire et publique
Au tournant du 6e siècle, le roi franc Clovis, récemment converti au christianisme, fait construire sur une colline de Lutèce une basilique dédiée aux saints Pierre et Paul dans laquelle il sera inhumé au côté de sa femme Clotilde. Ils y sont en 512 rejoints par sainte Geneviève, très vénérée patronne des Parisiens dont le vocable s’impose dès le 9e siècle : il désigne tout à la fois la basilique et l’abbaye bénédictine qui se développe rapidement autour d’elle, et dont on peut encore admirer le clocher du 14e siècle (appelé aujourd’hui « tour Clovis » en référence à cette antique fondation) dans l’enceinte de l’actuel lycée Henri IV. Ce double patronage, hagiographique et royal, marquera au long des siècles l’histoire de l’institution.
De la basilique des Saints-Apôtres à la bibliothèque universitaire et publique
Au tournant du 6e siècle, le roi franc Clovis, récemment converti au christianisme, fait construire sur une colline de Lutèce une basilique dédiée aux saints Pierre et Paul dans laquelle il sera inhumé au côté de sa femme Clotilde. Ils y sont en 512 rejoints par sainte Geneviève, très vénérée patronne des Parisiens dont le vocable s’impose dès le 9e siècle : il désigne tout à la fois la basilique et l’abbaye bénédictine qui se développe rapidement autour d’elle, et dont on peut encore admirer le clocher du 14e siècle (appelé aujourd’hui « tour Clovis » en référence à cette antique fondation) dans l’enceinte de l’actuel lycée Henri IV. Ce double patronage, hagiographique et royal, marquera au long des siècles l’histoire de l’institution.
Aux 9e et 10e siècles, les pillages répétés des Normands causent de nombreux dégâts et entraînent la décadence de l’abbaye qui doit être reconstruite et réformée : au 12e siècle, Suger, abbé de Saint-Denis et conseiller des rois de France Louis VI puis Louis VII, impose notamment aux chanoines réguliers de saint Augustin, désormais installés à l’abbaye jusqu’à la Révolution, d’entretenir une bibliothèque et une école de copistes ; le plus ancien manuscrit contemporain portant la marque de l’abbaye (son ex-libris) se trouve aujourd’hui à Soissons (l’actuelle bibliothèque Sainte-Geneviève possède des manuscrits acquis postérieurement remontant au IXe siècle) ; un catalogue, peut-être partiel, fait état au 13e siècle de 226 volumes. Au 16e siècle, on construit tout contre la basilique abbatiale une église paroissiale : Saint-Étienne-du-Mont.
Le contexte troublé du 16e siècle et la mauvaise administration de l’institution provoquent de graves désordres dont pâtissent lourdement les collections. Au début du 17e siècle, le roi Louis XIII confie au cardinal François de La Rochefoucauld la reprise en main de l’abbaye. Le prélat réforme l’abbaye et place sous l’autorité de Sainte-Geneviève de Paris la nouvelle Congrégation des Augustins de France, qui fédère l’ensemble des communautés de l’ordre ; il amorce en 1624 la résurrection de la bibliothèque abbatiale par le don de 600 volumes issus de ses propres collections, premier noyau de l’actuelle bibliothèque Sainte-Geneviève. Le chanoine Claude du Molinet adjoint bientôt aux ouvrages un Cabinet de curiosités. En 1710, les 16 000 volumes légués par Charles-Maurice Le Tellier, archevêque de Reims et fils du ministre de Louis XIV, constituent l’enrichissement le plus considérable de la bibliothèque sous l’Ancien Régime.
Au 18e siècle, la basilique Sainte-Geneviève est destinée à être remplacée par une nouvelle église, commandée à Soufflot par Louis XV en accomplissement d’un vœu et dont la première pierre est posée en 1764. La Révolution transforme dès 1791 l’édifice en « Panthéon des grands hommes ».
Dans le même temps, la tourmente révolutionnaire épargne les collections de la bibliothèque nationalisée : Alexandre-Gui Pingré, chanoine bibliothécaire, astronome, voyageur et écrivain, présente un catalogue bien tenu et son charisme, fascinant les commissaires du peuple, évite la dispersion.
Seul le Cabinet de curiosités est éclaté au profit de diverses institutions. La bibliothèque, elle, reste en place sous les combles des anciens bâtiments abbatiaux, dont le collège du Panthéon (devenu lycée Napoléon et rebaptisé par la Restauration lycée Henri IV) occupe désormais les étages inférieurs.
Le développement parallèle des deux institutions rend la cohabitation de plus en plus problématique. Le conflit arrive en place publique, la presse s’en fait l’écho, l’Instruction publique s’en alarme, l’Assemblée nationale en débat. En 1838, enfin, est décidée la construction d’un édifice indépendant destiné à accueillir les collections et leur public. L’architecte Henri Labrouste s’en voit confier la réalisation. L’emplacement de l’ancien collège de Montaigu, voué à la démolition, est dévolu au nouveau bâtiment. Dans l’intervalle, il se voit partiellement transformé pour héberger dès le mois d’octobre 1842 une bibliothèque provisoire, susceptible d’accueillir le public autour des collections les plus utilisées. Le reste de l’édifice, à la place duquel s’élèvera le futur bâtiment, est démoli.
Adopté par les Chambres en juillet 1842, le projet s’inscrit dans le vaste plan d’urbanisme envisagé depuis Soufflot autour de la nouvelle église Sainte-Geneviève devenue Panthéon : la loi du 5 juillet 1844 prévoit notamment le percement de la rue Soufflot et la construction d’une nouvelle mairie, pendant de l’École de droit. La nouvelle bibliothèque est citée comme partie de l’ensemble, alors que la face sud de la place est laissée à l’initiative privée.
Le chantier démarre le 1er août 1843, la première pierre des fondations est posée en août 1844. La nouvelle bibliothèque Sainte-Geneviève ouvre ses portes le 4 février 1851. Premier édifice public français spécifiquement construit aux fins de bibliothèque, elle a été inscrite en 1975 et classée en 1992 au titre des Monuments historiques. Elle fait figure de manifeste pour la modernité en architecture.
La bibliothèque Sainte-Geneviève est aujourd’hui un établissement d’État au double statut interuniversitaire (universités Paris 1, 2, 3, 4 et 7) et public, accessible à toute personne de plus de 18 ans ou titulaire du baccalauréat. Elle est administrativement rattachée à l’université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. Pluridisciplinaires, ses collections comptent environ deux millions de documents répartis en trois fonds : la Réserve pour les fonds anciens, rares ou précieux, le Fonds général pour les documents publiés depuis 1810, et la Bibliothèque nordique proposant le plus riche fonds fenno-scandinave d’Europe (hors pays scandinaves).
Les bâtiments et leur décor
La nouvelle construction dans son époque
Au début du 19e siècle, l’usage du fer et de la fonte se répand dans la construction des bâtiments. Labrouste, lorsqu’il reçoit mission d’imaginer la nouvelle bibliothèque Sainte-Geneviève, a connaissance des réalisations entreprises depuis les décennies précédentes. Il fait néanmoins à divers titres œuvre de novateur. Non seulement il concilie fonctionnalité et esthétique en laissant apparente la structure de l’édifice mais, plus largement, la bibliothèque qu’il conçoit dans une autonomie spatiale inédite a sens de manifeste. Son œuvre donne le coup d’envoi de la modernité en architecture. Il repense les exemples du passé et invente des solutions nouvelles en adéquation avec ce projet particulier, auquel il confère une forte charge symbolique. En témoigne tout spécialement le thème omniprésent de l’opposition entre le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres, qui, entre autres significations, inscrit dans la pierre l’ouverture en soirée de la bibliothèque.
La façade
La façade, avec un rez-de-chaussée massif et relativement opaque contrastant avec un étage largement ajouré, reflète la réalité fonctionnelle de la structure intérieure : un rez-de-chaussée dévolu pour l’essentiel à la conservation des collections peu consultées ou précieuses, que surmonte un étage lumineux et aéré destiné à l’accueil les lecteurs. Les fenêtres comme la porte d’entrée semblent se découper dans la muraille, avec leur forme même pour principal ornement. L’étage, logeant la salle de lecture, s’éclaire de 42 fenêtres qui ont pour soubassement un « catalogue monumental » gravé : la liste des 810 noms d’auteurs célèbres qui le composent commence avec Moïse et s’achève avec Berzélius, savant suédois mort en 1848. Les noms répondent sur la façade aux oeuvres conservés à l’intérieur. Le caractère sobre et plan de cette façade, que rythme une guirlande continue et mouvante, signe sa modernité ; les frises, pilastres et gravures lui confèrent une discrète élégance.
Le vestibule
Le Conseil avait, pour le plafond, laissé le choix entre une voûte ou une structure de fer. C’est cette dernière solution qui fut retenue et ne présenta pas de difficulté majeure dans sa réalisation. Labrouste aurait voulu aménager un jardin le long de la façade principale du bâtiment pour « l’éloigner du bruit et de la voie publique et préparer au recueillement les personnes qui le fréquentent ». Un tel projet ne put voir le jour faute de place. Ce jardin a été transposé par Alexandre Desgoffe dans les peintures du pourtour qui représentent des arbres et des végétations de tous les pays.
La pénombre de ce vaste espace donne lieu à interprétation, qui convoque Dante ou le positivisme d’Auguste Comte : le vestibule est alors la forêt obscure de l’ignorance, dont le lecteur s’arrache au fur et à mesure qu’il gravit l’escalier pour atteindre la salle de lecture, temple du savoir. Ce cheminement est accompagné par vingt bustes de personnages illustrant les différentes disciplines représentées dans les collections de la bibliothèque. Ils sont l’œuvre de Carle Elshœcht, Louis-Parfait Merlieux et Nicolas Mallet. Plusieurs ont figuré au Salon de 1849.
Les salles du rez-de-chaussée
La partie gauche contenait autrefois les collections de théologie et les doubles. Elle a gardé ce rôle de stockage de masse, accentué, en 1931-1932 lors de l’installation d’un magasin métallique inspiré du fameux magasin des imprimés établi par Labrouste à la Bibliothèque nationale. Avant même la fin du XIXe siècle, il fallut se résoudre à y installer des bureaux, absents des plans primitifs.
La partie droite était destinée dès l’origine à conserver les fonds précieux. On la dénommait « salles des manuscrits et estampes ». Ce rôle lui reste en partie dévolu sous l’appellation de Réserve ; elle abrite également la Direction, installée dans le « Cabinet du conservateur ». Boiseries et armoires de chêne ont été pour l’essentiel établies par Labrouste, en deux étapes (1850 et 1866).
Une restructuration importante a été entreprise en 1933 : la salle originellement dévolue au public fut divisée en trois pour permettre l’accueil de la bibliothèque littéraire confiée par Jacques Doucet à l’Université de Paris et la création de bureaux ; l’actuelle salle de lecture remplaça dès lors les deux vestibules qui donnaient à voir des collections d’objets d’art. La Réserve expose pour partie mobilier et objets hérités de la bibliothèque abbatiale : on mentionnera tout particulièrement les bustes de grands hommes sculptés par Coysevox, Caffieri, Houdon, etc., ainsi que la galerie des portraits des rois de France au pastel, de Louis IX à Louis XIV (le programme les voulait « au naturel, sur les originaux les plus fidèles qui se sont pu rencontrer dans Paris »), initialement commandée pour orner le Cabinet de curiosités.
Ce Cabinet ambitionnait d’illustrer les trois règnes minéral, végétal et animal ainsi que les activités humaines. Il composait pour le bonheur des érudits et des curieux une collection d’objets rares ou étranges, venus parfois de continents lointains et souvent identifiés de façon approximative : monnaies et médailles, pierres, animaux empaillés, plantes séchées, statuettes, momie, tableaux... L’essentiel a été en 1791 attribué aux nouvelles institutions issues de la Révolution française (Museum d’histoire naturelle, Musée militaire, Bibliothèque nationale, etc.). Seuls restèrent à la bibliothèque les « sauvageries ». Reconnus aujourd’hui, pour la plupart, comme exceptionnels et particulièrement rares, ces objets ethnographiques sont présentés dans la galerie d’accès à la Réserve.
L’escalier
Cette partie du bâtiment, pleine d’ampleur et de noblesse, répond très exactement à sa vocation de montée initiatique vers la lumière du savoir. Sur des paliers intermédiaires, deux bustes, dus respectivement à Raymond Barthélemy (1878) et Eugène Guillaume (1881), rappellent les rôles de refondateurs joués, au 17e siècle par le cardinal de La Rochefoucauld concernant les collections, et deux siècles plus tard par Labrouste qui sut concevoir un lieu si approprié à leur étude . Les peintures décoratives sont inspirées de relevés rapportés d’Italie. D’Italie aussi proviennent les copies exécutées dans les Loges du Vatican d’après Raphaël par les frères Paul et Raymond Balze : parmi elles, L’École d’Athènes (9,60 x 6m) fait pendant aux baies vitrées donnant sur la salle de lecture, illustrant à l’avance l’enrichissement promis à ceux qui franchiront le seuil.
La grande salle de lecture
Ne disposant pas de précédents adaptés, Labrouste eut besoin de longues réflexions pour établir cette partie du projet. On observera cependant que les grandes lignes en sont fixées dès les premières esquisses qui nous sont parvenues. Les proportions s’inspirent largement des observations effectuées par l’architecte dans l’ancienne bibliothèque abbatiale pendant la courte période où il en assura l’entretien. La disposition en deux nefs n’est pas sans évoquer le réfectoire de l’ancienne abbaye parisienne Saint-Martin-des-Champs (dont les bâtiments abritent aujourd’hui le Conservatoire national des Arts et métiers), alors en train d’être réaménagé en bibliothèque.
Un plafond soutenu par des piliers avait été d’abord envisagé. Mais l’attitude ouverte du Conseil général des bâtiments civils incita Labrouste, dès 1840, à le remplacer par une structure de fonte sur colonnes supportant dans un premier temps un plafond plat en pans brisés orné de caissons, puis finalement une double voûte. L’architecte espérait par ce procédé accentuer la pénétration de la lumière largement dispensée par 42 fenêtres jusqu’au moindre recoin de sa salle.
La fonte des grands arcs, considérés comme partie intégrante de la décoration de la salle, fut autrement plus délicate. Labrouste travailla aux dessins et aux modèles d’exécution avec le concours du serrurier Roussel et du fondeur Calla. On testa la résistance de plusieurs prototypes avant d’arrêter le choix définitif. La structure en fer du comble repose directement sur chacun des grands arcs. Entre ceux-ci, un réseau de poutrelles et un maillage de fil de fer servent de support au lit de plâtre.
Le décor peint reste discret, tout juste présent pour mettre en valeur les livres qui doivent seuls retenir l’attention. Les grandes armoires de chêne concourent au même but ; d’autres, métalliques, qui meublaient en un épi central l’axe de la salle, ont disparu . Originellement disposées dans ce même axe longitudinal, les tables ont changé de sens afin d’augmenter la capacité d’accueil. Subsistent encore plusieurs centaines de chaises établies sur le dessin de l’architecte, à la fois classiques dans leur décor de bois tourné et modernes dans leurs proportions. Deux éléments en vis-à-vis marquent l’entrée : le sas établi autour de la tapisserie L’Étude surprise par la Nuit (terminée en 1853 aux Gobelins sur un carton des frères Balze) qui en détermina les proportions, et le bureau du bibliothécaire significatif par son décorum et sa position en estrade. La force et le mystère de cette salle magnifique sont tels que les changements n’en altèrent en rien l’esprit originel.
Le bâtiment d’administration
Sur ses plans primitifs, Labrouste avait prévu d’implanter à l’ouest de son bâtiment principal une annexe destinée à loger l’administrateur et diverses dépendances. De ce projet d’implantation abandonné témoigne seule la façade de l’actuelle Bibliothèque Cujas. Labrouste reporta de l’autre côté de la rue des Sept-Voies (aujourd’hui rue Valette) la construction d’un bâtiment de logements pour l’ensemble des personnels et services installés jusqu’alors au-dessus du lycée. La relative continuité des façades des trois bâtiments ainsi alignés donne tout son sens à cette partie de la place.
Les nouveaux bâtiments
Les prévisions de Labrouste en matière d’accroissement des collections se révélèrent très rapidement dépassées. Il fallut attendre près d'un siècle pour qu’un petit bâtiment de magasins soit enfin accolé à l’escalier en 1954 par l’architecte André Leconte. La période étant faste, ce dernier édifia en1961 une seconde extension, reliée à la première par une passerelle.
L’ensemble abrite depuis, non seulement des magasins et des bureaux, mais encore la Bibliothèque nordique accessible depuis la rue Valette.
Pour aller plus loin
Multimedia : Arte France, DVD 7 de la Collection Architectures
Publications récentes :
• Peyré (Yves), La Bibliothèque Sainte-Geneviève à travers les siècles, Paris, Gallimard, 2011
• Labrouste, 1801-1875, architecte : la structure mise en lumière : [exposition, Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine ; New York, MoMA],
[Paris] : N. Chaudun : Cité de l'architecture et du patrimoine : Bibliothèque nationale de France ; [New York] : Museum of Modern Art, (2012)